Par Ariane Randeau
La publication, en 1992, du livre La fin de l’histoire et le dernier homme de Francis Fukuyama a marqué le philosophe Jacques Rancière. À la suite de la chute du Mur et de la dislocation de l’Union Soviétique, face à l’expansion d’un capitalisme toujours plus global et financiarisé, Fukuyama prononçait la fin des idéologies, le triomphe de la démocratie libérale et l’avènement d’un consensus mondial. Trente ans plus tard, l’ouvrage de Rancière, publié à La fabrique éditions, regroupe des textes allant de 1991 à 2021 qui, ensemble, proposent une analyse des processus et des effets de cette machine libérale prétendument « consensuelle ». Il y met en avant combien ce « consensus n’aboutit pas, ne produit pas ce qu’il promettait : la paix ». Tout au contraire…
La publication, en 1992, du livre La fin de l’histoire et le dernier homme de Francis Fukuyama a marqué le philosophe Jacques Rancière. À la suite de la chute du Mur et de la dislocation de l’Union Soviétique, face à l’expansion d’un capitalisme toujours plus global et financiarisé, Fukuyama prononçait la fin des idéologies, le triomphe de la démocratie libérale et l’avènement d’un consensus mondial. Trente ans plus tard, l’ouvrage de Rancière, publié à La fabrique éditions, regroupe des textes allant de 1991 à 2021 qui, ensemble, proposent une analyse des processus et des effets de cette machine libérale prétendument « consensuelle ». Il y met en avant combien ce « consensus n’aboutit pas, ne produit pas ce qu’il promettait : la paix ». Tout au contraire…
Le premier processus consiste en la montée d’un « racisme d’en haut », c’est-à-dire d’une logique étatique qui décide de qui est citoyen ou non, trie le bon raciste du mauvais et propage partout la « haine de l’égalité ».
Le deuxième a trait à l’affirmation d’une culture de la haine et de la peur, entremêlées. Nos « démocraties », nouvelles formes politiques de « despotisme éclairé », s’ancrent dans une symbolique d’opposition du Bien et du Mal. Ce manichéisme, largement repris à partir des attentats du 11 septembre 2001, légitime la transformation des États en « États guerriers » et « policiers » œuvrant, bien évidemment, en faveur du Bien. Ainsi justifie-t-on, pêle-mêle, la guerre, l’intervention humanitaire, le mensonge d’État, l’instauration d’un climat d’incertitude généralisée, afin non pas d’apporter la paix mais de « gérer l’insécurité » et d’entretenir les inégalités au nom d’une supériorité morale et juridique où se confondent pouvoirs capitaliste, étatique, militaire et médiatique.
Un troisième processus se caractérise par le rejet des mouvements sociaux, la volonté de détruire les espaces collectifs, la propension à criminaliser toute forme de lutte. Ainsi s’ouvre un conflit inextricable entre deux mondes. Entre « les égaux assemblés et les gestionnaires du pouvoir oligarchique », il n’y a pas ou plus de négociation possible, ainsi qu’en témoignent quantité de mouvements sociaux tels que Occupy Wall Street ou les Gilets Jaunes.
Enfin on notera que Rancière, dans ses réflexions sur la question démocratique, aboutit à l’idée « qu’il n’y a pas de crise ou de malaise de la démocratie. Il y a et il y aura de plus en plus l’évidence de l’écart entre ce qu’elle signifie et ce à quoi on veut la réduire ». Il nous invite donc à penser la praxis militante car le danger est immense d’identifier, de confondre démocratie et représentation. Quand l’élection en vient à constituer la seule forme d’existence du « peuple », quand nous sommes gouvernés par une classe de professionnels de la politique qui s’auto-recrute, quand le système représentatif devient synonyme d’oligarchie, alors ce n’est pas ou plus la démocratie. Il est donc vital que les mouvements sociaux prennent conscience de l’impasse qu’il y a à se sentir légitimés par une frange d’« élus » qui sont plus les membres d’un système politico-médiatique qu’une réelle expression démocratique et égalitaire.