À la une de l'Antivol

Publication de L’Antivol-papier n° 16, octobre-décembre 2024

Par la Rédaction

Nous avons le plaisir de vous annoncer que le nouveau numéro de L’Antivol-papier, correspondant au quatrième trimestre 2024, vient de paraître. Il est toujours gratuit et contient des articles qui, nous l’espérons, vous intéresseront autant que les précédents.

Vous pouvez le trouver à Tours :

  • au bar « Le Serpent Volant », 54 rue du Grand Marché
  • à la librairie « Le Livre », 24 place du Grand Marché
  • à la librairie « Bédélire », 81 rue du Commerce
  • à la librairie « Lire au Jardin », 5 rue de Constantine
  • au bar « Les Colettes », 57 quai Paul Bert

Le plus simple est de le demander à l’accueil de ces établissements, aussi aimables qu’essentiels.

Par ailleurs, nous poursuivons la création de notre réseau de diffusion à vocation nationale.

Certains de nos membres ou lecteurs, ailleurs qu’à Tours, ont bien voulu en recevoir – nous prenons en charge les frais postaux – et se chargent de le distribuer autour d’eux.

On peut aussi le trouver à Paris, à la librairie « Quilombo », 23 rue Voltaire 75011, à Saint-Nazaire à la librairie « L’Oiseau Tempête » 20bis rue de la Paix. Dans les Deux-Sèvres La Boisselière (79310 Vouhé), dans l’Isère L’atelier paysan (ZA des Papeteries 38140 Renage), dans le Tarn les éditions La Lenteur (Le Batz 81140 Saint-Michel-de-Vax), dans le Maine-et-Loire l’Université populaire du Saumurois (12 rue de la Tonnelle 49400 Saumur) ont également accepté de faire partie du réseau de distribution. Ce dont nous les remercions tous vivement.

Et nous sommes bien sûr preneurs d’autres bonnes volontés…

Pour nous en faire part, nous communiquer vos réactions à la lecture du journal, nous proposer, comme pour le blog, vos propres contributions, merci d’écrire à lantivol37@gmail.com

À bientôt donc et que vive la presse écrite, réellement libre et radicale…

La Rédaction

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Les Maîtres-philanthropes de notre Mouvement climat

Par Tomjo

Le « Non » de Organisations Non Gouvernementales n’est-il pas bien souvent fallacieux ? Nombre d’associations pour le climat ne sont-elles pas sous influence de leurs financeurs capitalistes ? Quelle place, quel sens (ou non sens) occupe, dans l’histoire de l’écologie, le mouvement climat ? Voilà quelques-unes de questions, cruciales, qu’aborde cet article de Tomjo, du blog Chez Renart, dont on appréciera autant la qualité documentaire que l’aisance de style ou d’analyse. Il devrait donc en déniaiser plus d’un, tant la naïveté en la matière est si commune, si désarmante. On se précipitera donc à le faire connaître…

Il fallait que l’étau se resserre sur notre « Mouvement climat ». Cette année [2023, ndlR], deux enquêtes contribuèrent à saisir l’influence des industriels et des milliardaires sur les Conférences des Parties (les COP), Le Grand sabotage climatique de Fabrice Nicolino et Fin du monde et petits fours d’Edouard Morena (1). Un dernier coup de manivelle devait coincer leurs subsides aux associations françaises pour le climat. Notre affaire à tous, Oxfam, Réseau Action climat, Reclaim finance, Amis de la Terre, Alternatiba : toutes émargent auprès des mêmes philanthropes, investisseurs du climat ou évadés fiscaux. Quand elles ne sont pas subventionnées directement, les fonds transitent par l’European Climate Foundation, le lobby des industriels pour la « transition » dirigé par l’ancienne ambassadrice française pour le climat et organisatrice de la COP21, Laurence Tubiana. Ce lien de subordination se traduit ensuite en tractations ou actions de désobéissance afin d’obtenir des chefs d’État et des industriels des « accords ambitieux ». Notre soumission à leur égard s’intensifie dès lors que nous réclamons des responsables du désastre qu’ils prennent soin de notre survie.

Le Visage de l’écologie 1. Laurence Tubiana, Christiana Figueres et Laurent Fabius célèbrent l’Accord de Paris, 2015.

« Le schéma de représentation du monde que j’ai a déjà gagné. Le nucléaire a pris 15 points de soutien en dix ans. La seule question c’est : quel panachage entre nucléaire et renouvelable (2) ? » Le constat est de Jean-Marc Jancovici, lobbyiste du climat et auteur de la célèbre BD Le Monde sans fin. Difficile de ne pas lui concéder que la question climatique a recouvert l’écologie, ni qu’elle passe désormais pour une affaire technique à résoudre techniquement. Jancovici est un polytechnicien, fondateur de deux sociétés de conseil pour le climat, Carbone 4 et Shift Project. Cette dernière est financée par EDF, SPIE, Bouygues et Alstom, c’est-à-dire le cœur de la filière atomique française. Dans un élan commun contre les « énergies carbonées », Jancovici promeut l’atome, EDF soutient Jancovici. Shift Project a ensuite donné naissance à la Fresque du Climat, fameux « outil » d’éducation au réchauffement climatique qu’EDF, Suez, L’Oréal, TF1 et jusqu’à la première Maison de l’environnement venue offrent à leurs salariés comme des moments de formation citoyenne. Leur point de vue technique sur le climat les place naturellement comme partenaires ou conseillers des décideurs. Plus militant, depuis la COP15 à Copenhague en 2009, un mouvement « pour le climat » interpelle les décideurs par des actions de désobéissance civile - la qualification de « jeunes pour le climat » leur consacrant une réputation d’innocence qui mérite attention.

Des partenaires particuliers

Le 26 mai dernier, une coalition d’associations perturbe l’assemblée générale des actionnaires de Total pour en dénoncer les projets climaticides. Assis devant l’entrée, accrochés les uns aux autres ou les mains en l’air en signe de non-violence, les militants attendent d’être gazés, frappés et délogés par la police – qui tient avec zèle son rôle historique de gardien du capital.

L’action est menée notamment par la branche française de 350.org, une association américaine créée en 2007. Son inspirateur-fondateur est un climatologue de la NASA, James Hansen, partisan de l’atome et des techniques de séquestration du CO2. On lui doit le seuil-limite de 350 ppm de CO2 dans l’atmosphère qui inspira le nom de son asso. Pourquoi pas. L’association surprend avant tout par le nombre et la qualité de ses financeurs. Une liste d’industriels que l’on retrouve peu ou prou dans les rapports financiers des associations du Mouvement climat français : Rockefeller, Bloomberg, Velux, OAK, Soros, Ford ou encore l’Energy Transition Fund, un fonds d’investissement dans le renouvelable et le nucléaire. Dès lors, tout s’éclaire, et pas à la bougie. On comprend pourquoi 350.org célèbre l’Inflation Reduction Act de Joe Biden, ses 369 milliards de dollars débloqués l’an dernier pour le renouvelable, le nucléaire, les voitures électriques, leurs gigafactories, etc.

Un autre mouvement d’origine américaine est devant Total ce jour-là. Plus ancien, il est même précurseur de l’écologie dans les années 1970 : Les Amis de la Terre, 16 salariés en France, 1,5 millions d’euros de budget en 2022, dont 792 000 viennent du privé (plus de la moitié). Le reste est allongé par l’État (ADEME et Ministère de l’environnement). De quoi entacher l’indépendance d’action. Parmi les donateurs privés : la fondation KR de l’entreprise danoise Velux, le fonds américain Open Society du spéculateur-fraudeur – et parfois objet de fantasmes – Georges Soros, et notre Emergency Climate Foundation (ECF) que l’on étudiera plus bas. Leurs amis de ANV-COP21 (Action non-violente COP21) et d’Alternatiba sont aussi du blocage. Les uns et les autres reçoivent des fonds de l’ECF et de la fondation « 1 % pour la planète », créée par le patron de Patagonia, cette marque américaine de matériel d’alpinisme fabriqué en Asie. Quant aux « Scientifiques en rébellion », si rien n’indique qu’ils émargent à des fondations, la liste de leurs signataires dévoile son infiltration par le Commissariat à l’énergie atomique, nos criminels de l’atome engagés contre le crime climatique (3).

Excusez l’inventaire, mais le tableau du Mouvement climat serait incomplet sans Notre Affaire à tous, célèbre depuis son procès de l’État pour inaction climatique, et dont la fondatrice Marie Toussaint est devenue eurodéputée sous la bannière EELV. L’association renseigne un budget de 342 000 euros dont 304 000 proviennent de l’ECF et de la Rockefeller Brothers Foundation – oui, du pétrolier américain Rockefeller.

Reclaim Finance, fondée en 2020 par une ancienne salariée des Amis de la Terre, Lucie Pinson, entend « mettre la finance au service du climat ». L’association présente déjà 41 salariés sur son site internet. Leurs salaires sont notamment rétribués grâce aux subventions de Velux, de la néerlandaise Laudes Foundation(les vêtements C&A), de l’ECF et de Patagonia, et encore du Sunrise Project, un réseau australo-néerlandais d’investisseurs dans les renouvelables.

Enfin, la branche française de Stay Grounded, mobilisée contre les extensions d’aéroports, est elle aussi financée par Velux, mais encore par la Swiss Philanthropy Foundation. Cette fondation est abondée par OAK, que l’on retrouve fréquemment auprès des associations pour le climat. OAK est la fondation d’un avocat fiscaliste et milliardaire, Alan Parker, réfugié fiscal sur les bords du lac Léman, qui fit fortune dans le commerce détaxé des Duty free shops puis en revendant sa boîte à Bernard Arnault. La situation est cocasse : un spécialiste de l’évasion fiscale, riche à milliards de son business aéroportuaire, finance un mouvement citoyen contre l’aviation.

Toutes ces associations se retrouvent enfin dans un Réseau Action Climat (RAC) que des fondations privées alimentent pour plus de la moitié de ses 1,8 millions d’euros de budget en 2022 : encore OAK, mais aussi l’ECF et l’Agence Française de Développement (AFD), dirigées par la même Laurence Tubiana – on y vient.

Combien de médias, de journalistes de l’environnement et de politiques savent tout ça ? Le non-dit est énorme. Il apparaît pourtant évident que la « question climatique » n’eut été poussée à l’agenda jusqu’à recouvrir le mouvement écolo anti-nucléaire sans que des fonds conséquents ne financent tout un personnel d’encadrement, des organisateurs, formateurs, juristes, chargés de plaidoyers, de communication digitale, de communication médias, mais encore des locaux, des t-shirts, des banderoles, etc.

A contrario, on imagine assez peu les philanthropes financer des associations pour la décroissance, des anti-nucléaires, anti-éoliennes, anti-bagnoles, mobilisés contre le déferlement numérique ou le génie génétique.

L’écologisme efficace

Le nombre de salariés mais encore leur fonctionnement venu de l’entreprise, du management, de la gestion des RH, de la communication, auraient pu mettre la puce à l’oreille. Leurs nombreuses formations à l’action collective ou à la communication réseaux invitent davantage leurs militants à être « efficaces » pour maximiser leur « impact » qu’à susciter le questionnement et la contradiction. Difficile de ne pas voir l’empreinte de ces fondations anglo-saxonnes versées dans l’« altruisme efficace », cette méthode managériale appliquée à la philanthropie (4).

Un article de sciences sociales nous offre un témoignage de la culture managériale d’Alternatiba (13 salariés et 380 000 euros de budget en 2022). L’association fut créée au Pays Basque par des déçus de la COP15 à Copenhague en 2009, des proches des Amis de la Terre et d’ATTAC. Devant ce qu’ils considéraient comme un « échec », leur parti-pris fut de relancer une mobilisation exemplaire, par le bas, au niveau des citoyens. Un premier « village des alternatives » rassemble 12 000 personnes à Bayonne en 2013. Une cinquantaine d’autres suit autour de la COP21 à Paris en 2014-2015. Les auteurs parlent de cette association comme d’une « franchise » offrant à ses « bénévoles » du « prêt à militer » : des fiches projet avec organisation par compétence, comme un kit « Action locale et campagne citoyenne » ou un kit de « mobilisation », élaborés par le bureau central :

« Le ‘’Kit méthodologique Alternatiba’’, qui sera rédigé à partir de l’expérience bayonnaise en vue de son exportation, résume bien ‘’l’état d’esprit Alternatiba’’ : il s’agit de ‘’préférer une approche positive’’ cherchant moins à ‘’traiter les problèmes’’ qu’à mettre en lumière les ‘’solutions’’. Cette posture a donc contribué à faire du message d’Alternatiba un discours ‘’sans adversaires’’ (5). »

Les auteurs notent « une rhétorique de l’efficacité, ayant comme corollaire l’évacuation des questions idéologiques. » Leur compte-rendu du « Village des alternatives » organisé à Lille en 2014 relate un conflit entre, disons la branche des organisateurs, défenseurs d’un activisme orienté sur le discours positif des alternatives, et la branche politique qui regrette les discussions volontairement limitées à « l’organisationnel ». Ils en concluent à une « dépolitisation » de l’écologie par sa « déconflictualisation ».

Depuis, Alternatiba s’est tout de même fait remarquer par des actions de désobéissance comme l’organisation d’un cortège de portraits d’Emmanuel Macron préalablement subtilisés dans les mairies, lors du G7 de Bayonne en 2019. Alternatiba représente en quelque sorte la branche activiste du Mouvement climat.

L’action de lobbying est davantage portée par le Réseau Action Climat (ou RAC), qui chapeaute le reste des assos. Ce réseau est une création de WWF, Greenpeace, Les Amis de la Terre et France Nature Environnement en 1996. Il est dès l’année suivante agréé pour participer comme « ONG » à la COP3 de Kyoto. Il n’en manquera aucune. C’est même sa raison d’être : le propos est sérieux, le constat est scientifique, les perspectives sont chiffrées et les solutions industrielles. A l’image de son personnel. Le conseil d’administration du « RAC » rassemble un économiste à l’École des Mines, un ingénieur-conseil en environnement, par ailleurs membre du GIEC et du Conseil économique, social et environnemental (le CESE), un chercheur au CNRS, un polytechnicien des Eaux et forêts, une économiste diplômée de la London School of economics, une juriste, bref : des profils dont la légitimité vient de leur diplôme, qui n’est pas celui des Beaux-arts. La logique veut qu’à la mise en cause du système économique, le RAC négocie des « scénarios » de décarbonation savamment établis.

Exemple. Plutôt que la critique du système bagnoliste, de ses ravages sanitaires, de son organisation industrielle du travail (le fordisme !), ou de l’enlaidissement généralisé des paysages, le RAC défend la voiture électrique, qu’elle range dans l’« électromobilité » comme n’importe quelle sous-préfecture. La voiture électronucléaire serait « un des leviers pour opérer la transition écologique dans le secteur des transports (6) ». À condition de quelques garanties sur l’origine des métaux et le recyclage des batteries, exprimées pour la bonne conscience : on ne verra aucun militant du climat s’accrocher aux grilles du chantier, ni même dénoncer publiquement, la prochaine usine de batteries à Douai, quand bien même elle consommerait en énergie nucléaire l’équivalent d’une ville de 800 000 personnes, du cobalt et du lithium extraits dans des conditions scandaleuses, et l’eau d’une région en « alerte sécheresse » depuis bientôt dix ans. Non plus qu’on les verra sur les chantiers des trois autres usines de batteries dans le Nord, chez ArcelorMittal qui s’étend d’une ligne de production d’acier dédié, aux usines d’hydrogène et d’éoliennes offshore qu’EDF projette encore à Dunkerque. Les pollueurs d’hier sont les sauveurs d’aujourd’hui par la grâce de la « décarbonation ».

Autre exemple. Plutôt qu’une critique de la société électronucléaire, de son mode de gouvernement autoritaire, de son idéologie de toute-puissance, ou de sa menace apocalyptique, l’atome n’est au mieux dénoncé qu’au titre de « mauvaise solution pour le climat », trop cher et trop long à mettre en œuvre. Il sera préféré un plaidoyer positif et scientifiquement établi pour l’industrie des « renouvelables ». Si le RAC devait exprimer une critique de la « loi d’accélération des énergies renouvelables » votée en mars dernier, il dirait qu’elle manque d’ambition :

« Des inquiétudes demeurent sur certaines propositions qui ralentiraient voire empêcheraient le déploiement des énergies renouvelables comme l’avis conforme des maires pour définir les zones d’accélération (plutôt que les intercommunalités) ainsi que des Architectes des Bâtiments de France (7). »

Et tant pis pour les paysages et les bâtiments classés, et tant pis pour l’exploitation des métaux jusque dans les fonds marins, et tant pis pour la transformation des campagnes et des côtes en zones industrielles, et encore tant pis pour les terres transformées en usines agrivoltaïques (8). Quand Emmanuel Macron et Élisabeth Borne entendent accélérer les procédures, le RAC met le pied au plancher pour les doubler.

La ministre de la transition énergétique Agnès Pannier-Runacher ne promet pas moins qu’une « transformation comparable à celle de la première révolution industrielle (9) ». Comme s’il s’agissait d’une référence heureuse. L’intention ferait normalement bondir un écologiste. Mais pour un mouvement qui ne voit son destin que par le climat, le projet est sans doute salutaire : doublement du rythme actuel d’installations solaires, quadruplement de celui de la géothermie, promesse de 36 usines éoliennes offshoreet de six réacteurs EPR, la référence au Plan Marshall aurait tout aussi bien fonctionné.

Enfin et pour tout dire. Plutôt qu’une critique de la croissance, de l’idéologie du développement, de la société de consommation, du mode de production industriel, le RAC soutient l’effort de réindustrialisation. Le 16 mai 2023, après une première lecture à l’Assemblée nationale du projet de loi « Industries vertes » (un oxymore peut-être ?), le Réseau Action Climat salue « la volonté de conjuguer les ambitions climatiques et industrielles mais appelle le Parlement à renforcer le texte, trop timoré en l’état en regard des enjeux environnementaux et sociaux actuels (10). » Le RAC réclame plus de réindustrialisation verte de l’État français comme il réclame plus du Green Deal d’Ursula Von der Leyen, cette technocrate de la CDU qui dirige la Commission européenne. Son « paquet climat est historique dans son ampleur et ouvre les chantiers indispensables à l’accélération de la transition écologique (11) » Tel est le fond idéologique de la « transition » : changer l’énergie sans changer la société, qui nous va bien comme elle est, avec ses faux besoins, son travail aliéné, et sa production industrielle de masse.

Le RAC défend d’autant mieux son programme auprès des négociateurs des Conférences sur le climat qu’il parle le même langage technocratique : fondé scientifiquement, le plaidoyer s’égrène de « neutralité carbone », « adaptation », « compensation », « mix énergétique », « transition juste », « énergies décarbonées », « industrie verte », sans oublier l’immanquable « sobriété » depuis que les technos l’associent au « réemploi », à l’« éco-conception » et à l’« économie circulaire » (12).

En dépit de ses limites flagrantes, le RAC s’est rendu à la COP28 de Dubaï, une occasion immanquable de négocier avec les dirigeants du monde une « sortie » de « toutes les énergies fossiles » grâce au « triplement des énergies renouvelables », une meilleure « efficacité énergétique » et une meilleure « sobriété » des biens et des infrastructures (13). Et puis... c’est l’occasion de discuter au bar de l’hôtel avec Laurence Tubiana de la subvention 2024-2025.

Défiscaliser et verdir : Tubiana, pasionaria du capitalisme climatique

En France, une telle présence du mouvement philanthropique surprend d’autant plus qu’elle est collectivement refoulée. On le rencontre plus traditionnellement dans les pays protestants. C’est sans doute pourquoi l’identité des financiers des mouvements anglo-saxons comme Extinction-Rébellion, Just Stop Oil, Scientist Rebellion ou Dernière Rénovation sont plus connus – et assumés (14). Mais au-delà de l’impératif religieux de donner l’aumône aux nécessiteux, la philanthropie contemporaine est avant tout un outil de défiscalisation doublé d’un canal d’investissement.

Une affaire a fait le tour de la planète l’an dernier : le PDG des vêtements Patagonia Yvon Chouinard cédait l’entièreté de son entreprise, évaluée à trois milliards de dollars, à sa fondation pour le climat. Applaudissements dans la presse. Un professeur de droit fiscal devait rappeler combien ce don à la planète permettait au milliardaire d’échapper aux droits de succession. En plaçant ses héritiers à la tête de la fondation qui désormais chapeaute ses activités industrielles, Chouinard leur transmet la boîte contre 17 millions de dollars d’impôts au lieu de un milliard. La philanthropie climatique lui a permis d’économiser 983 millions (15).

On doit cette astuce fiscale à celui qui fut l’homme le plus riche du monde au début du XX° siècle, magnat du pétrole et propriétaire de la Standard Oil Company, John D. Rockefeller. Avec son ami le sidérurgiste Carnegie, il obtient du Congrès américain en 1913 l’exonération d’impôt sur le revenu pour les sociétés philanthropiques. John en son temps finançait des écoles pour les pauvres et des universités, ses héritiers financent toujours la recherche scientifique mais sont désormais engagés « pour le climat ».

La quatrième génération des Rockefeller annonce en 2014 son désinvestissement progressif des combustibles fossiles. La décision est historique. La Rockefeller Foundation, qui est donc une concurrente directe de TotalÉnergies, investit dix millions de dollars deux ans plus tard dans l’entreprise Mainstream Renewable power. Son directeur précise que « si John D. Rockefeller était encore en vie, il reconnaîtrait les énormes opportunités de l’économie des énergies propres. » Puis la fondation s’associe en 2021 à celles d’Ikea et du patron d’Amazon Jeff Bezos dans un programme à un milliard de dollars pour les renouvelables, puis annonce encore un milliard le 15 septembre dernier (est-ce le même milliard ?) pour des projets aussi divers que des batteries de stockage « dans le but de fournir un accès fiable à l’électricité à plus de trois milliards de personnes », pour le développement de réseaux électriques en Zambie et au Congo, pour des « infrastructures intelligentes » aux États-Unis, etc. (16). Les dons faits au climat par la Fondation Rockefeller n’ont donc pas le caractère désintéressé qu’on leur prête de prime abord. Ils sont des investissements productifs pour lesquels on attend un « retour » d’une façon ou d’une autre.

On retrouve les Rockefeller en Europe au sein de l’European Climate Foundation, la pierre angulaire du Mouvement climat français. ECF est à la fois un fonds de dotation mais encore un think tank inscrit au registre européen des « groupes de pression ». Son rapport d’activités 2022 mentionne un budget de 138 millions d’euros, soit le budget d’une ville comme Dunkerque, alimenté par Ikea, Rockefeller, Hewlett, KR (Velux), OAK, Laudes Foundation (C&A), et d’autres entrepreneurs de la ClimateWorks Foundation comme Bill Gates, Jeff Bezos, Ford, etc. (17). Que dit l’ECF d’elle-même ?

« L’ECF a été fondée en 2008 par des philanthropes pour développer des solutions et activer l’engagement politique et la conscience publique autour [du changement climatique]. La lutte contre la crise climatique offre une excellente opportunité pour l’innovation et la croissance économique. Avec nos partenaires, nous travaillons avec les acteurs politiques, les entreprises et la société civile pour faire de l’Europe un pionnier de la transition énergétique (18)

Passons la barrière de la langue. ECF fut fondée par l’Anglais Georges Polk et le Néerlandais Jules Kortenhorst pour le compte de leurs amis milliardaires de la ClimateWorks Foundation : Hewlett, Packard, OAK, CIFF et quelques autres moins connus en France. Ils apportèrent 75 millions de dollars la première année. Kortenhorst, qui a débuté à la Royal Dutch Shell (19), et Polk travaillent comme gestionnaires de fonds d’investissements climatiques et viennent tous deux du cabinet de conseil McKinsey, omniprésent dans les COP à partir de Copenhague en 2009.

C’est avec le livre du sociologue Édouard Morena Fin du monde et petits fours que l’on comprend les objectifs de chacun des acteurs (20). La ClimateWorks Foundation est à l’époque le plus gros client de « la firme », comme on surnomme McKinsey. Ses clients souhaitent influer sur les négociations internationales sur le climat en fonction de leurs intérêts. McKinsey leur prépare alors un document comparatif « coûts / tonnes de CO2 réduites » de chaque technologie mature ou en cours de maturation. D’un côté, les ampoules à LED ne coûtent pas cher mais n’économisent que peu de carbone, de l’autre, la centrale à gaz avec capture du CO2 présente la meilleure réduction des émissions mais son coût est élevé. Le nucléaire se situe dans la moyenne haute mais en dessous de la reforestation, les voitures hybrides sont quant à elles dans la moyenne basse mais font mieux que les biocarburants, etc. (21). Les témoignages récoltés par Morena au moment des COP confirment que cette étude devient à partir de Copenhague un document de référence des négociateurs.

« Les courbes de McKinsey étaient très séduisantes et donnaient une vision technique de la résolution du problème climatique qui s’est imposée comme le discours dominant dans les négociations climat. Cette approche présentée comme apolitique ne l’est en réalité pas, car elle induit des solutions techniques, de marché, qui mettent notamment de côté la question de la justice climatique », témoigne-t-il auprès du magazine en ligne Vert (22).

McKinsey, ses donneurs d’ordre et la European Climate Foundation font à Copenhague la preuve d’une voie conciliant profits et climat. Nous n’allons pas détailler tous les personnages de l’ECF, mais quelques autres sont nécessaires pour cerner l’étendue de son objet. Et donc, in fine, cerner un peu mieux notre Mouvement climat.

En 2022, Stephen Brenninkmeijer, de l’entreprise néerlandaise C&A, lui-même investisseur dans des entreprises « à impact » (renouvelables, éducation, entrepreneuriat dans les pays du sud) cède la présidence à Kate Hampton, directrice générale de la Children’s Investment Fund Foundation, une fondation anglaise créée par le spéculateur milliardaire Christopher Hohn, exilé fiscal aux îles Caïman. Cette CIFF est avec la ClimateWorks parmi les fondatrices de l’ECF. Son fondateur est mal connu en France alors qu’il est actionnaire d’Alphabet ou d’Airbus, pendant un temps le patron le mieux payé d’Angleterre, et un financeur revendiqué d’Extinction-Rébellion (23). Il faudrait une carte pour visualiser d’un coup d’œil la réalité matérielle du Mouvement climat. Mais on saisit l’idée générale.

Aux fiscalistes et aux philanthropes, il faut ajouter la domiciliation de l’ECF aux Pays-Bas, réputés comme le paradis fiscal préféré des multinationales, et même le paradis fiscal numéro un des multinationales américaines (24). Sans avoir à s’avancer au-delà des faits connus de tous, on peut conclure qu’ECF reçoit des dons de spécialistes de l’évasion fiscale dans le pays spécialiste de l’évasion fiscale. L’ironie veut que ce petit chaînon d’une vaste entreprise fiscale finance des ONG mobilisées pour une finance verte et vertueuse, comme Reclaim finance ou Oxfam France. Ironie encore quand Oxfam appuie en 2017 l’enquête de la Commission européenne sur les pratiques fiscales douteuses d’Ikea aux Pays-Bas, l’un des argentiers de l’ECF.

Nous arrivons enfin à la directrice actuelle de la European Climate Foundation. Laurence Tubiana présente un impressionnant parcours professionnel à la croisée des intérêts publics et privés. Tubiana est une ancienne trotskyste de la LCR, diplômée d’une thèse en économie à Sciences Po où elle crée et dirige la chaire de « Développement durable ». Amie de longue date de Lionel Jospin, elle le conseille sur les questions d’environnement entre 1997 et 2002 quand il est à Matignon.

C’est alors qu’elle fonde, en 2001, l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), un centre de recherche financé par la BNP, EDF, Engie, Veolia et d’autres amis de la nature comme l’association des Entreprises pour l’Environnement (AXA, Arkema, BASF, etc). Puis elle est nommée successivement au Conseil de direction du réseau des solutions pour le développement durable de l’ONU en 2012, et l’année suivante à la présidence de l’Agence française de développement (AFD), cette obscure banque des entreprises françaises à l’international, avec ses panneaux solaires « pour l’Afrique ».

Forte de ses réseaux universitaires, économiques et diplomatiques, Laurence Tubiana est la mieux placée pour occuper le poste d’ambassadrice française pour le climat lors de la COP21 à Paris en 2015. On peut d’ailleurs imaginer que, derrière le Ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, qui n’y connaît rien en environnement, elle en est la cheville ouvrière. Elle témoigne :

« Tout en veillant à ne pas trop exagérer notre rôle, il faut reconnaître que les activités menées par la communauté des philanthropes climatiques en amont et pendant la COP ont contribué à créer les conditions de [l’accord] (25) », témoigne-t-elle à ce propos.

À l’international, ECF finance encore le Climate Action Network, le réseau au dessus du Réseau Action Climat français, lui-même financé par Velux, OAK, Soros, Ikea, bref : toujours les mêmes. Le C.V. de Laurence Tubiana suffirait à remplir un « Dictionnaire des entrepreneurs à impact pour la transition juste ».

Comme groupe de pression, ECF travaille pour que les politiques publiques, et donc les financements publics, comme ceux du Green Deal européen, soient « fléchés » vers l’éolien, le solaire, les pompes à chaleur, les mobilités électriques, la rénovation thermique des bâtiments, la capture-stockage du CO2, l’hydrogène, et pourquoi pas le nucléaire (26). Vers les secteurs d’activité de ses financeurs, qui profiteront à l’occasion de subventions publiques – les fenêtres Velux ne sont-elles pas éligibles aux aides d’État sur la rénovation thermique ?

Plus globalement, et pour en revenir à notre sujet, qu’obtiennent les philanthropes à financer le Mouvement climat ? Toutes les associations ne sont pas des acharnées du nucléaire, loin s’en faut, ni de la séquestration carbone, ni même des fenêtres de toit à double vitrage. Mais qu’importe. Pour ces entreprises, l’essentiel tient à ce que :

1., la question climatique passe comme prioritaire devant, par exemple, les déchets chimiques et radioactifs éternels, pour lesquels il n’existe pas de solution industrielle profitable ;

2., les COP soient le lieu privilégié où s’inquiéter du climat, regroupant la « communauté internationale », ses médias et ses citoyens, autour des chefs d’États et d’elles-mêmes ;

Et 3., la question climatique soit ainsi dépolitisée, réduite à une affaire scientifique et technique, isolée des autres questions environnementales (la biodiversité, les océans), à fin de s’immuniser contre une critique plus globale qui mettrait en cause leur existence même.

À la fin, les industriels et les États (qui sont aussi des industriels) passent pour avoir la clé du problème climatique. En cela, il faut admettre que leur réussite est éclatante. Dans les années 1990-2000, le mouvement altermondialiste s’organisait jusqu’à prendre d’assaut les sommets du G8, de l’OMC, du FMI ou de la Banque mondiale, dans le but annoncé de les annuler. Le « Mouvement climat » a pris la suite en organisant ses marches et ses actions non-violentes pour que ces sommets soient des réussites. Ce recul de la critique se double d’une humiliation : notre survie serait liée à nos bons maîtres comme nos actions le sont à leur aumône.

Ceci n’est pas une mascarade

L’actuelle COP28 se réunit donc à Dubaï chez le septième producteur mondial de pétrole. Les associations et les médias relèvent qu’à cette situation paradoxale s’ajoute l’infiltration inédite de « lobbies » pétroliers. Est-il sous-entendu que les autres lobbies comme ceux du nucléaire, des renouvelables ou des télécommunications seraient quant à eux de bons lobbies – puisqu’il n’est même pas nécessaire de relever leur présence ? Le sous-entendu certain suggère que sans les méchants lobbies pétroliers, le processus de négociation entre États serait vertueux et aboutirait aux accords que l’on attend tous. En remontant cinquante années de Sommets de la Terre et de COP, une autre histoire apparaît.

Les Conférences des parties (ou des États signataires) s’organisent dans le cadre juridique de la Convention-cadre des nations unies sur le climat, la si fleurie CCNUCC. Son secrétaire exécutif actuel, qui organise les COP et nomme les pays hôtes, est Simon Stiell, ministre de la Grenade de 2013 à 2022. La Grenade est plus souvent présentée comme une île caribéenne menacée par les eaux que comme un paradis fiscal. Allez savoir. Mais qu’est-ce qu’il y connaît, Simon Stiell, à l’écologie ? Cet ingénieur est un ancien cadre de Nokia et de plusieurs start-up californiennes.

Le Visage de l’écologie 2. Les chefs d’État réunis au Sommet de la Terre en 1992. Maurice Strong est au premier rang à la droite de François Mitterrand.

En 2002 pour le quatrième Sommet de la Terre de l’ONU à Johannesburg, Jacques Chirac tient ces mots célèbres : « La maison brûle et nous regardons ailleurs. » S’agit-il déjà d’un aveu d’impuissance après les huit premières COP ? Les Conférences des Parties ont été décidées pendant le Sommet de la Terre de Rio en 1992 par les États signataires de la CCNUCC. L’organisateur de ces Sommets de la Terre est depuis 1972 le Canadien Maurice Strong, parmi les fondateurs du GIEC en 1988 (27). Pourquoi est-il à cette place si centrale et si stratégique dans les négociations de l’ONU pour la survie des espèces ? Cela reste mystérieux. Strong est le dirigeant entre 1948 et 1984 d’une série d’entreprises énergétiques : l’entreprise pétrolière Power Corporation jusqu’en 1966, Petro Canada entre 1976 et 1978, ou encore Ontario Hydro, une industrie spécialisée dans l’électricité hydraulique et nucléaire, au moment d’inaugurer le Sommet de la Terre de Rio en 1992 et de lancer les Conférences sur le climat. La messe était dite (28).

Le Visage de l’écologie 3. Maurice Strong arrive en tête du peloton au Sommet de la Terre de 1972 à Stockholm.

L’Accord de Paris de 2015, dont on nous a bassiné qu’il était « historique », n’est déjà pas respecté. Mais contrairement au récit renouvelé tous les ans, les COP ne sont pas des « rendez-vous manqués » ou des « mascarades » envers lesquelles éprouver de la déception. Elles sont les moments que la classe dirigeante, dans sa diversité et ses contradictions, privilégie pour gérer ses intérêts à moyen terme selon les dernières données de leurs experts : comment produire demain, avec quelle énergie, et quelles ressources ? Comment adapter la production, les entreprises, les villes, les échanges aux nouvelles conditions météorologiques ?

Bernard Charbonneau, contributeur du premier journal écologiste en France, La Gueule ouverte, nous avait prévenus dès 1980. Les responsables du désastre auront à le gérer au mieux de leurs intérêts dans une fuite en avant technologique. Il pense entre autres au fameux rapport du Club de Rome publié en France en 1973, sorte d’ancêtre des rapports du GIEC, l’étude cybernétique et comptable des ressources de la planète financée déjà par des industriels et des hauts-fonctionnaires :

« Un beau jour, le pouvoir sera bien contraint de pratiquer l’écologie. Une prospective sans illusions peut mener à penser que, sauf catastrophe, le virage écologique ne sera pas le fait d’une opposition très minoritaire dépourvue de moyens, mais de la bourgeoisie dirigeante, le jour où elle ne pourra faire autrement. Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et qui après l’abondance géreront la pénurie et la survie. Car ceux-là n’ont aucun préjugé, ils ne croient pas plus au développement qu’à l’écologie : ils ne croient qu’au pouvoir, qui est celui de faire ce qui ne peut être fait autrement (29). »

Accordons aux « Jeunes pour le climat », qui n’étaient pas nés en 1980, le bénéfice de la crédulité. Accordons-la d’autant plus que la lutte contre le dérèglement climatique, ou plutôt contre les pollueurs pour ne pas céder à la novlangue philanthropique, mérite qu’on y consacre une partie de sa jeunesse – si ce n’est pas maintenant, quand ? Certes, il est difficile d’admettre que ses émois sincères ont été instrumentalisés par des vilains pour asseoir leur domination. Mais il n’est jamais trop tard pour tracer une voie en dehors des agendas institutionnels. Celle-ci suppose d’arrêter de jouer tous les ans leur jeu humiliant, de dénoncer leurs Conférences internationales de pollueurs, et de bloquer leurs projets industriels supposément adaptés aux nouvelles conditions climatiques et opportunément maquillés en « industries vertes ».

Les âges farouches de l’empouvoirement

Quoi qu’on en dise, le Mouvement climat, ses administrateurs et ses financeurs, n’est ni jeune ni naïf, et il serait injuste d’accabler les jeunes de 2023 d’une collusion avec le pouvoir inaugurée bien avant eux. En 2011 puis en 2013 avec L’Enfer vert, nous témoignions de ces projets de contrôle technologique portés par l’écologisme (30). Au même moment mais depuis un autre point de vue, le journaliste Fabrice Nicolino résumait l’état d’esprit des fédérations écolos depuis le Grenelle de 2007 et la COP de 2009, dont les fondatrices du Réseau Action Climat :

« Un spectre hante désormais le monde de l’écologie, et c’est celui de la mignardise. Il faut être gentil, constructif, bienveillant, positif, bien élevé. Ce mal est profond. […] L’écologie, la vraie, a disparu dans le trou noir des embrassades et des réceptions avec petits fours. »

Quand le président Nicolas Sarkozy convoque ces assos en 2007 pour son « Grenelle de l’Environnement », il laisse y discuter de tout, sauf du nucléaire – il négocie au même moment des EPR avec la Chine et la Libye. Les assos iront quand même à la table des négociations. Jancovici représente la Fondation Hulot pour causer climat, Jadot est sur la photo pour Greenpeace, et le Réseau Action Climat envoie sa présidente Sandrine Mathy. Les grands discours accouchent de mesures insignifiantes et bureaucratiques mais les assos se félicitent de la qualité des débats. Nicolino les aligne dans son enquête Qui a tué l’écologie ? Greenpeace, WWF, Fondation Nicolas Hulot, France Nature Environnement en accusation (31). Il y déroule l’histoire de ces « écologistes de salon » : WWF n’a jamais été qu’un faux-nez d’industriels et Hulot un faux-naïf pour industriels. Leur parcours n’aura déçu personne. Quant à Greenpeace et FNE, elles représentent chacune un modèle de renoncement particulier.

FNE est une fédération d’associations environnementales née en 1970. Son cas est celui de la stérilisation par absorption dans l’appareil d’État, ses commissions d’informations, de pilotage, de suivi, de débat, qui confèrent à ses membres salaires et rétributions symboliques. Mieux vaut parfois acheter ses adversaires que les vaincre. À cette vieille roublardise institutionnelle s’ajoutent des partenaires financiers surprenants. Aux dernières nouvelles, on trouve des exploitants et constructeurs d’éoliennes, comme l’entreprise du Parc d’éoliennes offshore du Tréport et l’entreprise portugaise EDPR, l’électricien gazier et nucléaire ENGIE, le maillon français de la chaîne nucléaire RTE, ou le plus gros consommateur d’énergie atomique de France, la SNCF. Faut-il dès lors être surpris quand FNE estime que « le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables ne va pas assez loin » ?

Le cas de Greenpeace est plus tragique. Une bande d’anti-nucléaires amis des baleines crée la branche française de Greenpeace en 1977. Ils sont du genre acharné. Quand le cargo Mont-Louis s’échoue au large de la Belgique le 25 août 1984, ils parviennent à en découvrir le contenu et s’empressent de le révéler. Non seulement la cargaison comprend 400 tonnes d’uranium appauvri, mais cet uranium français est destiné à l’Union soviétique, armée de têtes nucléaires orientées vers l’Europe de l’ouest. Le secret-défense a pris l’eau avec la cargaison. Ses tenanciers tiendront leur vengeance.

Des nouveaux militants débarquent au début de l’année suivante alors que Greenpeace se prépare à empêcher les essais nucléaires français à Mururoa. Ils critiquent sa focalisation sur l’atome, sèment la discorde dans les couples, et installent une ambiance de mort. Deux des fondateurs sont licenciés et doivent entamer une grève de la faim dans leurs propres locaux ! Une bande armée de barres de fer et d’extincteurs les en déloge le matin du 25 mai 1985. Stupéfaction.

Quarante jours plus tard, le 10 juillet, des nageurs de la DGSE font exploser la coque du Rainbow Warrior ; le bateau de Greenpeace attendait en Nouvelle-Zélande de s’interposer devant les essais nucléaires menés par le Commissariat à l’énergie atomique et l’armée française. L’opération fait un mort et la dissolution de Greenpeace France. Libération révélera dix ans plus tard l’infiltration de Greenpeace par les services de renseignement (32).

Une nouvelle mouture de Greenpeace est refondée en 1988, une organisatrice de salons récupère l’association en 1992 et lui fait prendre son virage bureaucratique : professionnalisation des salariés, recrutement de donateurs-adhérents, campagnes de com’ allégées pour le grand public, et passage en sourdine de la critique anti-nucléaire au profit des « alternatives » renouvelables.

Rien n’aura été épargné pour gagner la docilité du mouvement écologiste – faut-il rappeler qu’avant les actions non-violentes organisées sur le mode du martyr, une partie des antinucléaires menait des attentats contre les chantiers de centrales ? Cependant, le mouvement s’est aussi, et peut-être surtout, rangé de lui-même dans les jupons du pouvoir. Depuis ses débuts, une écologie d’experts et de rapports concurrence celle des fumeurs de pétards et des éleveurs de chèvres. Pour résumer : en 1972, La Gueule ouverte sort du satirique Charlie Hebdo cependant que Le Sauvage sort du sérieux Nouvel Observateur pour éditer les premiers extraits du Rapport du Club de Rome. Quand en 1989 Hervé Kempf publie sa première version, en papier, de Reporterre, son initiative résume assez bien cette contradiction. Il s’agit, avec Reporterre,

« de réaliser un aggiornamento de l’écologie, de la recrédibiliser en montrant qu’elle ressortait de la réalité et non de l’utopie, que sa signification sociale ne pouvait se réduire à une queue de comète de Mai 68, que la caricature de l’écolo barbu, gardien de chèvres, était surannée. »

Les écologistes crédibles n’ont eu de cesse de refouler leurs camarades utopistes comme on soignerait sa maladie infantile. Ce conflit politique est déjà vieux de 50 ans.

Tomjo

Notes

  1. Le Grand sabotage climatique, Fabrice Nicolino, Les liens qui libèrent, 2023. Fin du monde et petits fours, Edouard Morena, La Découverte, 2023.
  2. Thinkerview, 5 sept. 2023, youtube.com.
  3. Le CEA représente la pointe du crime industriel et militaire français : bombe atomique, essais nucléaires dans le Pacifique et le Sahara, nanotechnologies, etc.
  4. L’altruisme efficace fut théorisé par le philosophe australien Peter Singer, transhumaniste et anti-spéciste. Voir « Gagner plus pour donner plus : l’altruisme efficace, philanthropie de l’extrême », Le Monde, 17 mars 2023.
  5. Brusadelli Nicolas et Yannick Martell. « Réformer le militantisme, relancer le mouvement climat. Sur la genèse d’Alternatiba », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 242, n° 2, 2022.
  6. « Comment assurer le développement soutenable de la voiture électrique en France », RAC, 25 août 2021.
  7. « Un projet de loi d’accélération des énergies renouvelables voté mais à renforcer », RAC, 11 janv. 2023.
  8. Cf. « La troisième révolution industrielle des Mulliez artificialise la vie », Chez Renart, 8 juillet 2022.
  9. Le Monde, 23 nov. 2023.
  10. « Un projet de loi Industrie Verte sans grande ambition environnementale », RAC, 16 mai 2023.
  11. « Décryptage : Paquet climat européen – coup de pouce pour le Green Deal ou opération de greenwashing ? », RAC, 16 juillet 2021.
  12. « Nous devons réinstaller en France une culture de la sobriété, de la réparation et du réemploi », Christophe Béchu, ministre de la transition écologique, Le Monde, 2 nov. 2023.
  13. « La COP 28, à l’ère de l’ébullition climatique », Réseau Action Climat, 16 novembre 2023.
  14. Cf. « Aileen Getty, une milliardaire qui finance les actions chocs de militants écologistes », Le Monde, 1er novembre 2022. Et « Dernière Rénovation, Just Stop Oil, Scientist Rebellion... La nouvelle galaxie des mouvements écolos radicaux », Libération, 4 novembre 2022.
  15. « Philanthropy, the Billionaires’ Way », New York Times, 16 sept. 2022.
  16. « The Rockefeller Foundation Commits Over USD 1 Billion To Advance Climate Solutions », Rockefeller Foundation, 15 sept. 2023.
  17. ECF ne publie pas ses comptes précis. Pour ce qu’on en sait, et ce qu’en dévoile le site conservateur américain Influence Watch, la fondation Hewlett apporta 102 millions de dollars entre 2016 et 2020, Packard donna 3,8 millions de dollars en 2020, KR (Velux) 1,3 millions d’euros en 2020, OAK 5,1 millions d’euros en 2022, Laudes Foundation (C&A) 950 000 € en 2022.
  18. europeanclimate.org/about, consulté le 23 nov. 2023.
  19. Sa profession de foi est encore résumée dans « La relance verte, clé de la compétitivité du futur », SAY, 2020, disponible sur cairn.info.
  20. Fin du monde et petits fours, Edouard Morena, op. cit.
  21. Cf. « Comment le cabinet McKinsey pèse (aussi) sur les négociations pour le climat », Vert.eco, 11 mai 2022.
  22. Idem.
  23. « The very private life of Sir Chris Hohn - the man paid £1m a day », The Guardian, 5 mars 2021.
  24. Cf. La Richesse cachée des nations, Berkeley Gabriel Zucman, Seuil, 2017.
  25. « Les philanthropes aiment-ils la planète ? », La Vie des idées, Edouard Morena, 11 décembre 2018.
  26. Cf. son rapport Funding Innovation to Deliver EU Competitive Climate Leadership, 2018.
  27. Fabrice Nicolino nous dresse son C.V. détaillé dans Le Grand sabotage climatique, op. cit.
  28. Comment ne pas étouffer de rire à la lecture de sa déclaration d’intentions lors du premier Sommet de la Terre à Stockholm en 1972 : « Cette politique [que s’apprêtent à voter les Nations unies], loin d’être dissociée des politiques économiques et sociales, en sera au contraire la toile de fond. Pour les uns, elle sera le ferment qui conduira à la révision de concepts et de schémas de croissance économique tenus jusqu’ici pour les meilleurs et qui, finalement ont abouti à une dégradation sans précédent de l’environnement et des systèmes écologiques. Pour les autres, elle fournira l’occasion, et aussi le moyen, de rejeter ces schémas que l’on s’évertue à plaquer sur des sociétés fondamentalement différentes et qui aboutissent non seulement à une dégradation de l’environnement, mais plus encore à une aliénation de l’homme à des systèmes dont il n’est même pas le fondateur. », Le Monde diplomatique, mai 1972.
  29. Le Feu vert, Bernard Charbonneau, 1980, rééd. L’échappée, 2022.
  30. Tomjo, L’échappée, 2013.
  31. Les liens qui libèrent, 2011.
  32. « Les dessous de l’opération ’Satanique’. Comment la DGSE a préparé le sabotage du ’Rainbow Warrior’ le 10 juillet 1985 », Libération, 10 juillet 1995.

Première publication le vendredi 8 décembre 2023 :
https://chez.renart.info/Les-Maitres-philanthropes-de-notre-Mouvement-climat

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