
Dans cette tribune aussi tonique qu’argumentée, 76 juristes et avocats dénoncent une offensive majeure portée contre le droit de l’environnement et contre les populations les plus fragiles, au profit des grandes industries polluantes. Elle a été publiée pour la première fois par la revue
Socialter.
Collectif
Voici maintenant dix ans que l’on parle du détricotage du droit de l’environnement, mais à enlever chaque maille méthodiquement, le gouvernement semble avoir compris qu’il suffisait de tirer bien franchement sur le fil pour que le tricot disparaisse. Il ne s’agit plus d’arrondir certains angles, de créer certaines exceptions ; aujourd’hui, le droit de l’environnement est sabré et saboté sans ménagement.
Le droit de l’environnement se meurt et avec lui tous les principes et les protections qu’il offrait tant bien que mal. Avec lui s’écroule la démocratie locale et le choix des citoyens sur leur territoire. La dématérialisation des enquêtes publiques, et maintenant leur disparition pure au profit de consultations toujours accélérées et avec moins de contacts humains et d’avis disponibles, enterrent petit à petit les voix contestataires locales. Les simulacres de participation du public ne suffisent plus à donner l’impression de démocratie et de choix qu’ils impliquaient. Ils ne sont qu’un passage obligatoire, sans incidence sur l’implantation des projets destructeurs du vivant.
Car ce torpillage du droit de l’environnement se fait au profit d’une destruction toujours plus massive de nos terres. Derrière des grands principes comme l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN), nous vivons une accélération et une course aux sols encore disponibles pour être bétonnés. L’objectif ZAN n’est toujours pas appliqué qu’il est déjà amendé, les plus gros projets faisant office d’exception, les lobbys comme le Medef n’attendant que la disparition des dernières barrières. Car derrière ces grands principes, on accélère l’implantation des projets catégorie par catégorie, on crée des exceptions, des sites clés en main pour industrialiser, des projets agricoles pour irriguer, des énergies renouvelables qui impliquent de déforester.
Ces projets dont les récentes réformes lèvent les barrières et conditions que posaient le droit de l’environnement accélèrent une réalité dystopique : rogner sur les espaces naturels, faciliter la destruction des espèces protégées, épuiser les nappes phréatiques, polluer les cours d’eau, déforester. C’est la réalité derrière la contraction des temps de procédure, la facilitation des implantations des fermes-usines et mégabassines, l’abaissement des seuils des installations classées permettant la multiplication des usines, entrepôts et carrières.
Ce sabordage se fait au détriment de l’environnement, c’est certain, mais aussi et toujours en défaveur des mêmes populations, aggravant encore les inégalités climatiques. Par ces réformes législatives complexes et difficilement appréhendables, on accélère et permet plus de particules dans l’air, de pesticides dans l’eau, de chaleurs urbaines insurmontables. Cette accélération est toujours au profit des intérêts privés, souvent des plus aisés, et cela sur la santé des ouvrier·es, des agriculteur·rices et des riverain·es des sites pollués.
L’incompréhension et le découragement grandissent face à ces réformes, les chantiers illégaux sont régularisés et le juge n’est plus qu’un régulateur qui permet encore et encore de parfaire un dossier, dont les recommandations ne seront jamais suivies. Au sein des tribunaux, les délais d’examen des recours s’éternisent, les sursis à statuer se multiplient, offrant un blanc-seing aux projets destructeurs. Pendant ce temps, les chantiers avancent, rendant les atteintes à l’environnement irréversibles.
Les régularisations s’enchaînent sans fin, permettant aux porteurs de projet de contourner indéfiniment les règles, de combler chaque faille juridique au fil des contentieux, jusqu’à ce que tout soit bétonné. Et même lorsque la justice tranche en faveur de la protection de l’environnement, combien de décisions restent inexécutées ? Combien d’arrêtés annulés continuent de produire leurs effets sous couvert d’un nouveau texte rédigé à la hâte ? Combien sont simplement régularisés ?
Les associations vivent des attaques et celle-ci en est une. Nous n’avons plus d’outils, les populations ne comprennent plus du tout ce droit qui a toujours été complexe, la voie est ouverte et même les plus courageux et tenaces d’entre nous sont en train d’abandonner.
Le droit de l’environnement n’existe plus, il ne faut pas se leurrer ; ce droit d’autorisation, de dérogations, d’adaptation à la marge, de dossiers à compléter mais jamais à justifier est devenu l’enrobage réglementaire du droit à polluer.
Signataires
Chloé Gerbier co-fondatrice de l’association Terres de luttes / Samuel Delalande avocat au barreau de Paris / Claire Dujardin avocate au barreau de Toulouse / Elohane Durand avocate au barreau de Montpellier / Laure Abramowitch avocate au barreau de Dijon / François Zind avocat au barreau de Strasbourg / Clarisse Macé avocate au barreau de Paris / Valentine Boyer avocate au barreau de Caen / Julie Rover avocate au barreau de Toulouse / Chloé Chalot avocate au barreau de Rouen / Claire Dagotavocate au barreau de Marseille / Sébastien Mabile avocat au barreau de Paris / Alice Terrasse avocate au barreau de Toulouse / Antoine Gatet juriste en droit de l’environnement, président de FNE / Jérôme Graefe avocat au barreau de Paris / Isabelle Vergnoux avocate au barreau de Marseille / Marion Giardavocate au barreau de Paris / Louise Tschanz avocate au barreau de Lyon / Aurélien Bouayad enseignant au MNHN et à Sciences Po Paris / Chloé Lailler cheffe de projet consultante en droits humains / Charlie Schoegje avocat au barreau de Toulouse / Alice Thullier avocate au barreau de Nantes / Nina Potieravocate au barreau de Lille / Pascale Billing avocate au barreau de Paris / Lore Marguiraut avocate au barreau de Pau / Aurélia Diversay avocate au barreau de Nantes / Catherine Kratz avocate au barreau de Paris / Bénédicte Kjær Kahlat juriste en droit de l’environnement / Sonia Plazolles avocate au barreau de Toulouse / Alain Perrein président de l’association AAVE, Chambly Oise / Philippe Renouf président honoraire de tribunal administratif / Morgane Gueguen avocate au barreau de Nantes / Sebastien Barlesavocat au barreau de Marseille / Zoé Poncelet avocate au barreau de Marseille / Emmanuel Wormseravocat au barreau de Lyon / Julie Cazou avocate au barreau de Paris / Claire Dumont avocate au barreau de Marseille / Léa Bonello docteure en droit public, élève avocate à l’EDASE / Jean Eudes Mesland-Althoffer avocat au barreau de Marseille Noémie Garrigoux juriste en droit de l’environnement / Marie Poirot avocate au barreau de Marseille / Roxane Chaplain juriste en droit de l’environnement / Maëlle Blacharz juriste en droit de l’environnement / Cristina Barreau juriste en droit de l’environnement / Clémentine Baldon avocate au barreau de Paris / Maéva Gatineau juriste / Benjamin Cottet-Emardavocat au barreau de Lyon / Pierre Heddi avocat au barreau de Toulouse / Benjamin Bizzarri avocat au barreau de Sarreguemines / Thomas Dubreuil avocat au barreau de Vannes / Alexis Baudelin avocat au barreau de Paris / Vanessa Godier avocate au barreau de Marseille / Étienne Ambrosselli avocat au barreau de Paris / Caroline Lalou Juneja juriste en droit des animaux / Benjamin Hogommat juriste en droit de l’environnement / Alice Beral juriste droit de l’environnement / Marie Bomare juriste en droit de l’environnement / Hugo Salquain avocat au barreau d’Angers / Keïta Théophile juriste en droit de l’environnement / Helene Massin-Trachez avocate au barreau de Lyon / Amélie Pedrono avocate au barreau de Strasbourg / Francis Lindenfeld avocat au barreau de Paris / Sarah Maquet avocate au barreau de Toulouse / Mathilde Grandjean docteur en droit public, enseignante contractuelle Université Louis et Marie Pasteur (Franche-Comté) / Aurélie Tomadini maître de conférences de droit public - UBE / Lilia Meunier-Mili avocate au barreau de Narbonne / Delphine Borgel avocate au barreau de Paris / Desforges Florence avocate au barreau de la Drôme / Chloé Saynac avocate au barreau de Paris / Sébastien Le Briero avocat au barreau de Paris / Maripierre Massou Dit Labaquère avocate au barreau de Pau / David Auerbach avocat au barreau de Versailles / Thomas Bodin avocat au barreau de Paris / Éleonore Delatouche association Interêt à agir / Anouk Ferté-Devin avocate au barreau de Vannes / Lucile Stahl avocate au barreau de la Drôme.
Première publication dans Socialter, n° 70, juin-juillet 2025 p. 38-39.
ou
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