La crise politique s’intensifie. Certains parlent d’une crise de régime. Il semble difficile de gouverner. Dans plusieurs pays, les populations se mobilisent. L’exploitation, avec son lot de misère et de précarité, ainsi qu’un partage toujours plus inégalitaire des richesses, deviennent de plus en plus insupportables. Le dérèglement climatique inquiète. Les réponses réformistes nous conduisent dans des logiques conservatrices. Et si nous parlions, partagions des utopies nous permettant de rompre avec le capitalisme et de construire, dès maintenant, un avenir fondé sur l’égalité, la solidarité, la liberté ?
Le mois de septembre aura connu son lot de mobilisations. Un appel pour le 10 invitant à tout bloquer ; deux autres à l’initiative de l’intersyndicale. Le premier était porteur d’espoir. De multiples AG se sont organisées un peu partout en France, essayant d’organiser cette fameuse journée du 10 septembre et la suite. Les deux autres avaient, entre autres, pour but d’étouffer ces mobilisations en dehors des appels syndicaux (la leçon des Gilets Jaunes a bien été apprise). Le mouvement s’est vite dissous, bien que des tentatives pour entretenir la flamme du 10 septembre aient perduré quelque temps.
Le contexte politique ne facilite pas des mobilisations essayant de se construire hors du cadre de la société capitaliste.
D’un côté, une bourgeoisie de plus en plus exigeante quant à ses recherches de profits. Une partie d’entre elle souhaite sortir du cadre institutionnel et conduire une remise en cause du système de démocratie « représentative ». Elle estime qu’il ne lui offre plus assez de garantie pour nous exploiter davantage et augmenter de manière exponentielle ses profits. La concurrence, à l’échelle mondiale, est des plus vives et de nouveaux rapports de force au sein de l’impérialisme se mettent en place. L’ennemi principal pour les États-Unis n’est plus l’URSS ou la Russie, mais la Chine. Le continent européen a donc perdu cette place géopolitique particulière qu’il avait pendant « la guerre froide » aux yeux du gouvernement de la première puissance du monde (du moins officiellement).
De l’autre, des organisations politiques se qualifiant de gauche tentent de peser sur ces évolutions du capitalisme. Pour beaucoup, leur unité est indispensable pour pour tenter d’obtenir un partage un peu moins inégalitaire des richesses, une plus grande égalité fiscale. Il est manifeste que les capitalistes ne veulent plus payer pour contribuer à entretenir un État social à bout de souffle !
En outre, la peur du fascisme et sa prise du pouvoir grâce au RN rendrait plus que nécessaire cette unité. Tout ce qui nous horrifie relèverait du fascisme. On occulte que la société capitaliste se construit et perdure grâce à une très grande violence ; elle lui est intrinsèque. On ne peut ainsi oublier le traitement des prolétaires en Europe et aux États-Unis pendant le XIXe et la première moitié du XXe, l’esclavage, le colonialisme, l’impérialisme, les guerres comme celle de 14-18 mais également napoléoniennes, etc. Ce n’est pas le fascisme, mais bien le capitalisme, qui a couvert la planète de montagne de cadavres !
Cet antifascisme dépolitise tout débat au profit d’une posture morale. Cela fait une quarantaine d’années qu’on essaie de nous culpabiliser à ce propos. Alors qu’il faudrait réfléchir sur comment combattre cette montée de l’extrême-droite, on nous propose de nous unir et de crier ne pas vouloir des méchants et méchantes. Ce n’est donc qu’une impasse.
On ne peut exclure l’hypothèse de la mise en place de régimes n’ayant pas grand-chose à voir avec le fascisme, dont les instruments de pouvoir, de répression pourront être tout aussi horribles, voire plus, que le fascisme et le nazisme, si la bourgeoisie l’estime nécessaire.
Défendre la république ?
Il est quelque peu saugrenu de tenter d’être unitaire avec des libéraux, bien qu’ils se disent socialistes (les dernières péripéties parlementaires l’ont encore montré) alors qu’on veut appliquer un programme économique d’inspiration keynésienne (programme du NFP) ou qu’on souhaite lutter contre le dérèglement climatique, etc. On nous offre comme perspective politique de reconstruire, grâce à une VIe République, les institutions « démocratiques » bourgeoises, elles-mêmes attaquées par une partie de la bourgeoisie. Par exemple, il faut réhabiliter le parlement dont le fonctionnement a été abîmé par Macron ; il faut remobiliser les gens pour qu’ils aillent voter, défendre l’ONU et l’Ordre international grandement remis en cause par Trump, Netanyahu et consorts. C’est oublier un peu vite que cet ordre a été construit pour réglementer les relations entre différents États en premier lieu européens et ensuite états-uniens. Les populations des autres continents en étaient exclues et subissaient des massacres et toutes formes de domination et d’exploitation pouvant être très meurtrières. Il en va de même pour le droit lié à la guerre. Au final, cet ordre international et ses institutions ont servi à légitimer l’esclavage des noirs, le colonialisme, l’impérialisme (Cf. Géopolitique de l’état d’exception, Eugénie Mérieau, Le Cavalier Bleu, 2024).
Ce sont là des perspectives bien conservatrices, opposées à toute émancipation sociale. En supposant que ces organisations arrivent au pouvoir, notre vie ne sera guère transformée. Nous serons toujours exploités ; le salariat sera toujours dominant ; la marchandise privilégiera toujours la valeur d’échange au détriment de la valeur d’usage ; la croissance devra toujours être au rendez-vous ; le productivisme continuera à dégrader nos conditions de vie, de travail et l’environnement ; les rapports de domination n’auront toujours pas disparu ; nous serons toujours sous la tutelle de l’État avec ses cohortes de policiers, sa justice de classe, ses prisons, ses camps de rétention. Bref, le capitalisme sera encore bien vivant et aura encore de beaux jours devant lui. Il en sera de même pour le patriarcat, le racisme, etc. La planète continuera à se dégrader.
Beaucoup parlent d’une grande colère traversant la société française. Macron et consorts sont de plus en plus détestés ; l’inégalité grandissante du partage des richesses est de plus en plus mal supportée ; beaucoup d’institutions (Police, Justice, Éducation nationale, Démocratie « représentative »… ) voient leur légitimité se dégrader. C’est plutôt de la défiance qui est ressentie. Elle cherche ses modes d’expression, de contestation, de création.
© Lou Hubert
Sortir de l’impasse
Il n’y a pas de recette miracle, ni de sauveur suprême. Il y a quelques idées, quelques utopies qui peuvent nous inspirer. À différentes périodes de l’Histoire, elles se sont exprimées, voire concrétisées, en partie : la Commune, la révolution espagnole en 1936, la Makhnovtchina pendant la révolution russe en Ukraine, les conseils de Bavière pendant la révolution allemande, Mai 68, etc. Actuellement, depuis des décennies, au Chiapas au Mexique, des hommes et des femmes mettent en place une société anticapitaliste, antipatriarcale, antiraciste, etc., fondée sur l’égalité et la solidarité et essaient de se passer de l’État ; idemau Rojava au Kurdistan.
L’autogestion est la première idée ou utopie qui vient à l’esprit. Prendre ses affaires en main, fonder des rapports sociaux sur l’égalité, la solidarité, l’entraide. Exclure les rapports de domination quels qu’ils soient. Par rapport à la production, cela suppose qu’on décide ce qu’on produit. « Il serait donc bienvenu, sinon crucial, de compléter la liste des revendications. D’un mot fort, fruit d’une longue histoire et symbole d’un avenir transformateur, révolutionnaire : l’autogestion. Une autogestion repensée, renouvelée, c’est-à-dire générale, populaire et en écho aux problèmes et conditions du XXIe siècle. » (Cf. tract du 2/10/2025, « Ce que nous voulons ? L’autogestion populaire, ici, maintenant, partout ! » Collectif pour l’autogestion populaire (CAP), autogestionpop@proton. me)
Pourquoi ne pas prendre collectivement le pouvoir sur la production, ne plus le laisser aux capitalistes ? Nous devons nous organiser socialement pour définir le travail socialement utile : qu’est qu’on produit ? comment ? avec quels moyens ? à quelles fins ?
On ne peut prétendre aborder la question du dérèglement climatique sans remettre en cause le productivisme : produire dans la seule perspective de réaliser et augmenter sans fin des profits. Il est impossible pour les capitalistes de répondre positivement à ce questionnement. Ils remettraient en cause leur hégémonie de classe. Ils ne peuvent qu’essayer de gagner du temps, en espérant que des technologies leur permettront de résoudre cette contradiction ou d’en atténuer les conséquences.
Aucune classe dominante n’a quitté volontairement sa position hégémonique. Elles ont toujours été mises dehors par des mouvements sociaux, des révolutions. La bourgeoisie a conquis sa domination par la violence ; on ne s’en débarrassera pas pacifiquement. Entre les violences climatiques ou environnementales, qu’on ne maîtrise pas et qui peuvent être de grande amplitude, et les violences sociales dans une perspective révolutionnaire, qu’est-ce qu’on choisit ?
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